La ville de Bukavu connaît aujourd'hui une forte démographie. Chaque jour, son expansion devient considérable. Elle devient une ville chantier, où les maisons se font construire sans limite. Les matériels de construction, dont les briques produites à l'artisanale, sont consommées sans précédant. Ceci, avec des conséquences inévitables sur la perturbation de la biodiversité et de l'environnement dans des gisements d'argile.
CITO CIBAMBO FERDINAND
Le groupement de Karhongo Nyangezi en territoire de Walungu est située à 23 km de la ville de Bukavu , chef-lieu de la province du Sud-Kivu. Nyangezi est réputée une cité qui fournit de briques pour la construction des maisons à la ville de Bukavu et ses environs. Une ville qui connaît, depuis plusieurs décenies, une population croissante suite à l’exode rurale. Fabriquer les briques est d’abord un business pour plusieurs familles. La scolarité des enfants, la prise en main des soins de santé, la nutrition, et des besoins de toute sorte, il se laisse voir qu’une bonne partie de la population en dépend.
Pour nous en rendre compte, nous sommes allés à la rencontre de M. Steve Buhendwa, Avocat de son état et originaire de Nyangezi. Vivre de la production des briques c’est le seul apanage de plusieurs ménages du groupement de Karhongo Nyangezi, a-t-il confié. «Une grande partie de la population de Karhongo Nyangezi vit de la production des briques. Ils n’ont pas d’autres alternatives du fait que c’est devenu un business pour plusieurs familles».
C'est le cas par exemple de M. Zigashane, exploitant et père de 2 enfants. Il entretien depuis son jeune âge un chantier lui cédé par son père pour se rassurer qu’il se prenne bien en charge et prépare son avenir. Aujourdh’hui, il possède deux chantiers de fabrique de briques cuites où il a employé cinq personnes. Ce métier n'est pas facile, déclare-t-il. «J’ai effectué des études jusqu’à l’obtention du diplôme d’état. Je l'exerce parce que je ne trouve pas un autre emploi», a-t-il expliqué. Pour lui, la fabrication de 30.000 briques (pièces) prend environ 3 mois. Ses principaux clients lui viennent de Bukavu, la capitale de la province du Sud-Kivu. Pour lui, la production des briques cuites aujourd’hui est une mane. Sauf que cela demande beaucoup d’efforts. «Cinq mètres sur dix me coûtent dix mille briques. En tout cas, nous produisons de l’argent. Mais après beaucoup de travail. Sans oublier que souvent nous perdons nos chanters de briques à cause de la pluie qui peut surprendre d’un moment à l’autre», a-t-il fait savoir.
Me Steve Buhendwa rassure que la ville de Bukavu est en pleine expansion démographique. Ce qui engendre une énorme demande en matériaux de construction dont les briques cuites en provenance de Nyangezi. «La ville de Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu, connaît, ces dernières années, une forte pression démographique qui contribue à accroître le problème de la rareté de logement d’une large partie de ses habitants. Ce facteur réduit la marge de manœuvre d’une bonne partie de la population dans son accès à un habitat décent et s’oppose donc au rêve d’un habitat définitif qui est au centre des préoccupations ou des aspirations des Bukaviens,» a-t-il dit. Et d’ajouter que «cette explosion démographique dans la ville de Bukavu ainsi que les exigences liées à la tectonique de la région entrainent un besoin de la construction de qualité. Ce dernier impose un approvisionnement en matériaux de construction de bonne qualité conférant aux infrastructures confort, esthétique et durabilité.» selon l’Avocat.
Une fabrique traditionnelle aux conséquences écologiques
Pour fabriquer les briques cuites, il faut une procédure à suivre qui est coûteuse en terme de temps, d’espace, d’énergies, de personnel et d’argent. La matière première n’est autre que le sol argileux de Nyangezi. Elle est fabriquée à base d’une pâte d’argile façonnée, séchée et ensuite cuite dans un four à une température voulue.
Dans un rapport publié par le Service d’Etude et de Gestion Axée sur le Résustat en 2022, il est mentionné toute la procédure de production des briques cuites à Nyangezi. Localement, la fabrication de la brique cuite passe par plusieurs phases à savoir : l’extraction de la matière première, la préparation de la pâte, le façonnage, le séchage et la cuisson de la brique, mentionne le rapport.
A Nyangezi, on peut aujourd’hui compter plusieurs dizaines de chantiers de fabrication des briques cuites.
Au terme d’une recherche effectuée par Musa Rwizibuka Moise, intitulé « l’impact de la production et de la commercialisation des briques sur la sécurité alimentaire dans le groupement de Karhongo », il a été constaté que l’activité d’exploitation des sols et la production pérenne des briques cuites influencent négativement sur la sécurité alimentaire à Karhongo car les briqueteries ont envahi les terres cultivables.
Les grands résultats de cette étude ont monté que :
60 sur 60 enquêtés , soit 100% ont relevé que l’activité de production des briques a un impact négatif sur la sécurité alimentaire dans le groupement de Karhongo.
Sur un total de 60 briqueteries enquêtés 24, soit 40% ont proposés la délocalisation des briqueterie vers les collines et la reprise de l’activité agricole à Karhongo,20 soit 33% ont suggérés la modernisation des briqueteries artisanales à Karhongo et 16 soit 17% ont proposés l’exploitation rationnelle des briques pour qu’elle influe positivement sur la sécurité alimentaire.
40% des enquêtés proposent la refertilisation des terres dégradés et la reprise des activités champêtres à Karhongo comme auparavant.
A cela s’ajoute qu’ «après l’agriculture, la deuxième utilisation des marais dans les territoires de Walungu et Kabare est la production de briques» (Chuma et al., 2021)
L’on comprends bien que la dégradation des sols après la production des briques est non négligeable. David Balagizi, Agronome et Coordonnateur du Réseau des agronomes passionnés du développement (RAPD asbl) à Nyangezi a mentionné que la production des briques participe aussi à la dégradation des sols argileux des marais qui sont plus utilisés dans la fabrication des briques. Lorsque les briquetiers et paysans ont mis fin à l’exploitation d’un marais, elle est abandonnée et laisse derrière une flore détruite. Les plantes herbacées qui se trouvent autour des marais sont utilisées dans la cuisson comme couverture des briques sur les fours.» Il a renchéri que «cette pratique attaque la biodiversité non seulement des herbes utilisées mais aussi des organismes biologiques vivants qui ont ces herbes comme habitations. Pour que cette terre puisse se reformer et que le terrain soit de nouveau exploitable, il faut au minimum cinq ans.»
Comme si cela ne suffisait pas, la disparition de la flore dans cette partie du territoire de Walungu est importante. Le bois est utilisé consécutivement pour la cuisson des briques avec tous les effets y relatifs. La quantité de bois mobilisée lors de la cuisson des briques entraînant un vaste déboisement des forêts naturelles et/ou plantées. Les 4,8 millions de mettre cube de bois estimés par la consommation moyenne des briquetiers constituent un grand problème environnemental. Cette déforestation n’est pas ignorée par les acteurs, mais aucune action n’est hélas entreprise pour ralentir la coupe. L’Etat se limite à collecter les taxes pour le reboisement, plutôt que de s’en assurer. Cette perception de l’Etat qui abandonne sa responsabilité à la protection des forêts s'étend aussi aux extracteurs de sable qui doivent défricher des bois avant de commencer leur exploitation, mais n’ont aucune pression pour restaurer les espaces qu’ils ont exploité (Nkuba et Alii, 2024).
Des solutions existantes
Dans cette expansion du business basé sur la production des briques artisanales, certains acteurs de la place pensent que plusieurs alternatives sont déjà envisagées quoi que beaucoup reste à faire. C’est le cas du Chef de groupement de Nyangezi, Monsieur Cishugi Nyangezi. Selon lui, les jeunes ne cessent d’innover dans la modernisation de la production des briques en employant la technologie. Ces pratiques limitent la coupe du bois et ralenti la dégradation de la biodiversité dont le sol. Il regrette que la majorité des exploitants briquetiers restent encore au niveau traditionnel. Et cela avec des conséquences sur la perte de la biodiversité.
En 2016, lors de la COP22, qui s’est tenu à Marakech au Maroc, Benjamin Kamutele reçoit le prix initiative climat. Il est coordinnateur de l’organisation Vision paysanne pour le développement. Il produit depuis quelques années des briques écologiques qui contribuent sensiblement à la réduction de la déforestation et du déboisement dans des milieux de production des briques cuites comme Nyangezi.Cet unique lauréat congolais du prix initiative climat explique la raison de son initiative et la manière dont la brique écologique est produite:
"Chez nous, il y a un grand taux de déforestation suite à la production des briques, c’est la raison pourquoi j’ai commencé ma lutte consistant à produire des briques écologiques afin de protéger la forêt congolaise. Ces briques écologiques, nous les produisons sans combustibles, sans couper le bois, sans utiliser des biches. La matière première, c’est l’argile. Nous utilisons les ressources que nous avons. L’ombrage et le soleil suffisent pour produire la brique écologique. Nous y ajoutons quelque ciment et un peu de sable", explique Benjamin Kamulete, l’initiateur de la fabrication des briques écologiques.
Des initiatives à vulgariser à tout prix
Le cadre mondiale de la biodiversité a prévu 21 cibles qui devront guider vers l’atenuation de la crise climatique et la perte de la biodiversité. Les trois premières cibles martèle sur la sauvegarde et la restauration des terres détruites d’ici 2030 et la participation des peuples autochtones dans ces initiatives. Faire en sorte et permettre que, d'ici à 2030, au moins 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines, en particulier les zones revêtant une importance particulière pour la biodiversité et les fonctions et services écosystémiques, soient effectivement conservées et gérées par le biais de systèmes d'aires protégées écologiquement représentatifs, bien reliés et gérés de manière équitable, et d'autres mesures efficaces de conservation par zone, en reconnaissant les territoires autochtones et traditionnels, le cas échéant, et intégrés dans des paysages terrestres, marins et océaniques plus vastes, tout en veillant à ce que toute utilisation durable, le cas échéant dans ces zones, soit pleinement compatible avec les résultats de la conservation, en reconnaissant et en respectant les droits des peuples autochtones et des communautés locales, y compris sur leurs territoires traditionnels (Cible 3 du Cadre mondial de la biodiversité).
Dans des communautés locales où la briqueterie reste la seule source de revenu des menages, il est nécessaires d’initier de plus en plus les briquetiers à revoir leurs pratiques en vue des objectifs liés à la sauvegarde de la biodiversité. Les communautés locales impliquées dans les mécanismes de dégradation des sols et des forets pour la production des briques devraient être les premières cibles pour une mobilisation générale. Ce sont ces populations autochtones qui devront être acteurs de changement pour lutter contre la déforestation, la dégradation des sols, la perte de la biodiversité, à en croire Ingénieur David Balagizi, Agronome à Nyangezi.
Pour cela, poursuit-il, il est essentiel que les initiatives locales comme celles de Benjamin Kamulete soient vulgarisées chez les autochtones. Dans ce sens, les briquetiers doivent être réunis en coopératives. En leur sein, trouver des financements en vue d’être capacité et être accompagnés dans la production des briques biologiques ou écologiques. Ces coopératives devront se transformer en entreprises locales spécialisées dans l’économie du climat.
Regard sur un modèle d’exploitation responsable des gisements d’argile
D’un autre regard, une exploitation rationnelle d’une ressource renouvelable comme l’argile de Nyangezi est nécessaire. Nous prenons référence à l’entreprise française BIO’BRIC, qui a su avancer dans la production responsable des briques écologiques.
L’objectif de BIO’BRIC à travers la gamme bio’bric, est de produire des matériaux de construction ayant le plus faible impact possible sur l’environnement. Cela passe notamment par la réflexion, en amont, sur la réhabilitation des sites d’exploitation. Voici en image les étapes clés dans l’exploitation rationnelle et responsable des gisements d’agrile.
Premièrement, avant la fabrication brique terre cuite, une étude avant l’extraction d’argile. En amont de l’extraction de l’argile, nous instruisons des dossiers d’installation classée pour avoir accès à la matière. Dans un premier temps, ils discutent avec l’ensemble des acteurs du territoire : élus (documents d’urbanisme), profession agricole (accès au foncier) et les associations environnementales. Ensuite, ils réalisent une étude d’impact faune-flore. L’idée, à terme, est d’ouvrir des milieux, faire venir des espèces pionnières ou encore, une fois la carrière refermée, enrichir les fonctions écologiques et la biodiversité du site.
Deuxièmement, la considération de la vie brique terre cuite d’où une exploitation raisonnée du site. Maintenir les haies bocagères et arbres en périphérie des sites fait partie d’une exploitation raisonnée des gisements.
Cette démarche a pour finalité de garder une cohérence avec le paysage. De plus, à l’instruction du dossier, nous travaillons, par exemple, avec le CPIE (Centre permanent d’initiatives pour l’environnement). Au-delà de maintenir le maillage bocager lors de l’extraction, notre intention est aussi de le densifier.
Troisièmement, prendre en compte la réhabilitation après exploitation réfléchie. Il s’agit de réfléchir en amont à la réhabilitation après exploitation. Elle est assurée conformément aux engagements pris avec les acteurs locaux : remise en état agricole, réalisation d’un plan d’eau, etc.
AUTEUR: CITO CIBAMBO Ferdinand, Chercheur, Master en politique territoriale de développement durable et stratégies d’entreprise, Formé en Journalisme environnementale à l’Université Bilingue du Congo, et en journaliste de la Biodiversité par Mkaaji Mpya. Il est Directeur de la plateforme Alternatives Climat.