Un rapport publié par les groupes de défense de l’environnement RFUK, FERN et FPP appelle à s’éloigner des politiques climatiques fondées sur le marché, telles que les échanges de droits d’émissions de carbone.
CITO CIBAMBO FERDINAND
Selon un rapport de Rainforest Foundation UK (RFUK), Forests and the European Union Resource Network (FERN) et Forest Peoples Programme (FPP) publié le 29 mai dernier, si les bailleurs de fonds veulent protéger les forêts de notre planète, ils doivent se détourner des approches fondées sur le marché, comme les échanges de droits d’émissions de carbone. Le rapport, intitulé « Beyond Offsets » (« Au-delà des compensations »), souligne que des politiques moins transactionnelles et axées sur les intérêts des communautés autochtones auront des effets beaucoup plus protecteurs sur les forêts du monde.
« La protection des forêts nécessite à la fois des sources de financement conséquentes et des mécanismes efficaces pour garantir que les défenseurs des forêts – en d’autres termes, les peuples autochtones et les communautés locales qui les habitent – bénéficient bien de ce soutien », a souligné Hannah Mowat, Coordinatrice des campagnes de sensibilisation de FERN.
Le rapport appelle à une réorientation en mettant l’accent non plus sur les marchés du carbone pour préserver les forêts, mais sur une clause moins connue de l’Accord de Paris qui encourage la mise en œuvre d’« approches non marchandes, intégrées, holistiques et équilibrées ».
Les défenseurs des marchés du carbone ont longtemps soutenu qu’ils pouvaient se servir de l’efficacité des marchés pour orienter les financements vers les initiatives jugées les plus efficaces pour la protection des forêts ou tout autre moyen de séquestration du carbone.
Forêt tropicale au Gabon. Le pays a récemment conclu un échange de dette contre-nature. Crédit photo : ZB / Mongabay.
Mais bien qu’ils aient été largement vantés pour leur efficacité lors des récents sommets climatiques des Nations Unies, les marchés du carbone n’ont plus autant le vent en poupe après une série de scandales sur des pratiques financières douteuses et des violations des droits de l’homme. D’après le rapport, le prix de certains crédits carbone générés par des solutions fondées sur la nature se serait effondré, passant de 18 dollars au début de l’année 2022 à moins de 2 dollars cette année.
« Sur les marchés, par définition, les participants cherchent à acheter bas pour vendre haut, et par nature, les marchés fluctuent, ils ne sont donc pas prévisibles », a expliqué Hannah Mowat. « Cela mène à une ruée vers la signature de crédits carbone pour s’emparer de droits d’émissions sur autant de terres forestières que possible, en un temps record et au plus bas prix par anticipation d’une hausse des prix ».
Les groupes ont indiqué que les décideurs politiques devraient reconnaître qu’il est peu probable que les marchés du carbone aient des avantages considérables sur le climat, et qu’ils devraient plutôt orienter leurs efforts vers l’aide au développement, l’annulation de la dette et les paiements pour les services écosystémiques.
Dans le cadre d’une approche « non marchande » de la politique en faveur du climat et de la biodiversité, le financement pourrait être dirigé vers les actions jugées les plus efficaces, même si elles s’avèrent politiquement coûteuses ou difficiles à mettre en œuvre. L’augmentation des taxes sur les bénéfices exceptionnels et l’élimination des subventions à destination des combustibles fossiles pourraient, par exemple, permettre d’identifier des sources de financement pour les projets de lutte contre les changements climatiques.
Les groupes soutiennent que les initiatives mondiales en faveur de l’action climatique et de la biodiversité doivent non seulement mettre l’accent sur les approches non marchandes, mais aussi redoubler d’efforts pour parvenir à instaurer des partenariats solides avec les populations autochtones. Le rapport est illustré d’études qui démontrent que l’octroi de titres de propriété aux communautés autochtones est l’un des moyens les plus efficaces pour lutter contre la déforestation.
Le respect des droits des populations autochtones a été maintes fois cité lors des sommets mondiaux sur le climat et la biodiversité, mais les chiffres reflètent une tout autre histoire. Selon le rapport, seule une petite partie des fonds émanant d’engagements philanthropiques et gouvernementaux parvient aux communautés autochtones, bien que ces dernières aient fait leurs preuves en matière de protection de l’environnement.
Communauté autochtone de la sous-division d’Idabato de la péninsule de Bakassi, dans la région sud-est du Cameroun. Bien qu’elles aient fait leurs preuves en matière de protection de l’environnement, les organisations locales gérées par les communautés autochtones ne bénéficient que d’un soutien minimal. Image de Roland Ndifor.
Le Forest Tenure Funders Group (FTFG), qui réunit les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Norvège, ainsi que la Fondation Ford, a fait couler beaucoup d’encre au moment de la COP 26, la Conférence des Parties de 2021, lorsque ses membres se sont engagés à verser 1,7 milliard de dollars pour soutenir les communautés autochtones vivant dans les forêts. À ce jour, 815 millions de dollars ont été déboursés, mais seulement 8,1 millions de dollars, soit moins de 1 %, ont été versés à des organisations locales ou gérées par des autochtones. En revanche, près de la moitié des fonds ont été alloués à de grandes organisations non gouvernementales (ONG) internationales.
« Si le renforcement de la capacité organisationnelle de nombreuses organisations communautaires à absorber et à distribuer un financement accru constitue un défi, nous estimons que le plus grand danger est de maintenir le statu quo et un système profondément inefficace qui privilégie les intermédiaires éloignés », a indiqué Joe Eisen, de la Rainforest Foundation UK.
Le rapport appelle au versement de davantage de fonds en faveur des services écosystémiques, dans lesquels les communautés bénéficient d’un soutien financier à long terme en compensation de la réalisation d’objectifs de conservation et de lutte contre la déforestation.
Selon le rapport, le financement du secteur privé pourrait également s’éloigner des systèmes défectueux d’échange de droits d’émissions de carbone au profit d’une pratique appelée « insetting » (« décarbonation »). Par opposition à la compensation, la décarbonation met l’accent sur la réduction des émissions qui interviennent en amont ou en aval de la chaîne d’approvisionnement d’une entreprise, plutôt que sur celles émanant d’une forêt ou d’une usine éloignées.
La transition vers des approches non marchandes pour lutter contre la déforestation et les changements climatiques suppose que les gouvernements des pays riches prennent de nouveaux risques dans l’adoption de leurs politiques, telles que l’assujettissement à de nouvelles taxes. Les auteurs du rapport ont indiqué à Mongabay que les solutions alternatives ne fonctionnent tout simplement pas.
« Notre rapport révèle que des fonds publics sont disponibles pour la mise en place de davantage d’approches non marchandes en faveur de la protection de l’environnement, s’il existe une volonté politique de mettre en place des mesures telles que la réorientation des subventions néfastes à l’environnement ou l’instauration de régimes fiscaux plus progressifs », a déclaré Joe Eisen.
Image de bannière : Walhi, habitant du sud de Kalimantan, mesurant la croissance des arbres du mont Hauk, territoire sacré de la communauté autochtone Dayak Pitap. Image de Riyad Dafhi Rizki/Mongabay Indonésie.